Après une codification en 2010, la Commission européenne a proposé un projet de réforme de la Directive SMA (pour Service de Médias Audiovisuels) le 25 mai 2016. Quelles opportunités pour les entreprises du secteur, quelles limités, quels acteurs? L’article ci-dessous va vous éclaircir sur ces points.

La directive SMA règlemente l’audiovisuel européen, mais qu’est-ce que la directive considère comme un contenu audiovisuel ?

            En vertu de la directive SMA, l’audiovisuel se réfère « aux images animées, combinées ou non à du son » ainsi la directive SMA s’applique aussi pour les films muets. Sont, cependant exclus les transmissions audios et les services de radiodiffusion.

             Un service de médias audiovisuels est un service qui relève de la responsabilité éditoriale d’un fournisseur de services de médias, dont le but est de fournir, dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, par différents réseaux de communication.

          La réforme de la directive SMA identifie trois canaux de diffusion différents, deux sont déjà règlementés par l’actuelle directive SMA à savoir :

                        -la radiodiffusion télévisuelle, qui est finalement la télévision dans son sens le plus « traditionnel » c’est à dire dédiée au visionnage simultané de programmes sur la base d’une grille de programmes, ce service est un service linéaire.

                        -la vidéo à la demande c’est à dire un service dédié au visionnage de programmes à un moment donnée, moment choisi par l’utilisateur et sur demande individuelle sur la base d’un catalogue de programmes sélectionnés par le fournisseur de services de médias. Ce service est considéré comme un service non linéaire.

             Le troisième canal de diffusion visé par le projet de réforme c’est la plateforme de partage de vidéos (YouTube, Dailymotion, Vimeo ,…) qui est définie par le projet de réforme comme un service commercial adressé au public :

            -qui stocke une grande quantité de programmes ou de vidéos créées par les utilisateurs, qui ne relèvent pas de la responsabilité éditoriale du fournisseur de la plateforme de partage de vidéos

            -où l’organisation du contenu stocké est déterminée par le fournisseur du service, en particulier par l’hébergement, l’affichage, l’association à des mots-clés et le séquencement;

            -où l’objet principal du service proprement dit (ou d’une partie dissociable de celui-ci) est la fourniture de programmes et de vidéos créées par les utilisateurs dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public;

            -qui est fourni par des réseaux de communications électroniques.

             Toute utilisation occasionnelle de vidéos sur des sites web, blogs et sites de journaux n’entrera pas dans le champ d’application de la directive réformée.

            Au regard de cette définition des plateformes de partage de vidéos le troisième point apparaît comme crucial, En effet pour être considéré comme une plateforme de partage de vidéo, l’activité du média visé, doit être principalement la fourniture de programme vidéo. Cette définition permet, de fait, d’exclure les différentes plateformes qui permettent un partage de vidéo comme Facebook par exemple. Cependant des parties autonomes de certains médias peuvent être soumises à la directive SMA, ce peut être le cas de certaines pages web proposant en plus de leur activité principale une partie dédiée au partage de vidéo.

 La genèse de la réforme de la directive Services Médias Audiovisuels

             L’Union Européenne s’évertue depuis bientôt 30 ans à harmoniser le marché de l’audiovisuel européen. Sur les 30 dernières années le monde a considérablement changé.  Le marché de l’audiovisuel européen à d’abord été règlementé par la directive TSF de 1989, cette dernière a connu deux modifications majeures en 1997 et 2007. Ces modifications ont alors aboutit à une codification (la codification consiste à rassembler en un nouveau texte unique un acte législatif et toutes ses modifications) intervenue en 2010 avec la directive SMA.

             La directive «Télévision sans frontières» (directive TSF) représente la pierre angulaire de la politique audiovisuelle de l’Union européenne. La directive TSF 89/552/CEE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle, se fonde sur deux principes de base: la libre circulation des programmes télévisés européens au sein du marché intérieur; et l’obligation, pour les chaînes de télévision, de réserver une partie de leur temps d’antenne à des œuvres européennes. La directive TSF vise également à préserver certains objectifs importants d’intérêt publics, tels que la diversité culturelle, la protection des mineurs et le droit de réponse.

Alors que la directive TSF envisageait de faire émerger un véritable marché intérieur de l’audiovisuel en faisant tomber les frontières géographiques de la radiodiffusion, ce sont les frontières numériques de la communication audiovisuelle que la directive SMA s’est employée à lever. En effet les dispositions de la directive TSF ont été étendues aux plateformes de vidéos à la demande.

            De nouveaux modèles économiques font leur apparition. À coté des services de radiodiffusion classiques, qui occupe encore une place importante en termes d’audience et de recettes publicitaire, de nouveaux acteurs apparaissent.

            Les organismes de radiodiffusion télévisuelle, qui  étendent leurs activités traditionnelles en se tournant vers les services en ligne, et les nouveaux acteurs offrant des contenus audiovisuels sur l’internet (les fournisseurs de services de vidéo à la demande et les plateformes de partage de vidéos) se développent fortement et sont en concurrence pour le même public. Toutefois, la radiodiffusion télévisuelle, la vidéo à la demande et les contenus créés par les utilisateurs sont soumis à des règles différentes et à des niveaux variables de protection des consommateurs.

            En effet les règles en vigueur, posées par la directive SMA, s’appliquent déjà à la télévision traditionnelle et aux services de vidéo à la demande. La nouvelle proposition prévoit une extension limitée de son champ d’application aux plateformes de partage de vidéos (YouTube Dailymotion, Vimeo…).

            À la lumière des nouvelles technologies de transmission de services de médias audiovisuels,  le cadre règlementaire doit évoluer.

             Comme vu précédemment, cette réforme de la directive SMA intervient dans le cadre du projet d’un marché unique numérique, qui pourrait potentiellement rapporter 415 milliards d’euros par an. Dans cette idée d’un atout économique que doit être le passage à un marché unique numérique on peut se demander quel rôle va jouer la nouvelle directive SMA.

Les principales modifications apportées par le projet de réforme de la directive SMA

             Le 25 mai 2016, la Commission Européenne a publié une proposition visant à modifier la directive sur les services de médias audiovisuels. Comme l’indique la Commission dans son communiqué de presse, l’objectif de cette proposition est de « parvenir à un meilleur équilibre des règles qui s’appliquent aujourd’hui aux organismes traditionnels de radiodiffusion télévisuelle, aux fournisseurs de vidéos à la demande et aux plateformes de partage de vidéos, notamment lorsqu’il s’agit de protéger les enfants. La version révisée de la directive SMA renforce également la promotion de la diversité culturelle européenne, garantit l’indépendance des autorités de régulation de l’audiovisuel et offre une plus grande souplesse aux organismes de diffusion en matière de publicité. »

 Les principales modifications portent sur les aspects suivants :

            -Incitation à la haine : la proposition renforce les motifs d’interdiction des discours de haine

            -Pays d’origine : ce principe est maintenu, les obligations de transparence sont renforcées et les procédures de détermination du pays compétent sont simplifiées

            -Attitude responsable des plateformes de partage de vidéos

            -Les œuvres européennes

            -Communications commerciales

            -Autorités de régulation

I/ Promotion des œuvres européennes

 A l’heure actuelle les organismes de radiodiffusion télévisuelle européens investissent près de 20 % de leurs recettes dans le développement d’œuvres européennes, ces investissements sont inférieurs à 1 % dans le cas des fournisseurs de services à la demande. Dans le projet il est prévu d’imposer aux services à la demande de réserver au moins 20 % de leurs catalogues aux œuvres européennes (article 13).

 En outre le projet de réforme prévoit qu’afin de garantir des niveaux d’investissements adéquats en faveur des œuvres européennes, les États membres devraient être en mesure d’imposer :

            -des obligations financières aux fournisseurs de services à la demande établis sur leur territoire, ces obligations peuvent prendre la forme de contributions directes à la production et à l’acquisition de droits sur les œuvres européennes.

            -des redevances à verser à un fonds, sur la base des recettes tirées des services à la demande qui sont fournis sur leur territoire et visent ce dernier.

            -de telles obligations financières aux fournisseurs de services à la demande établis dans un autre État membre qui visent leur territoire. Dans ce cas, les obligations financières ne devraient porter que sur les recettes générées par l’audience dans cet État membre. Cependant lorsque les États membres imposent des contributions financières à des fournisseurs de services à la demande, ces contributions doivent promouvoir les œuvres européennes de manière appropriée tout en évitant les risques de double imposition pour les fournisseurs de services.

 Cette précision a été apportée parce que les règles actuelles peuvent donner lieu à des pratiques dites de «forum shopping» (c’est-à-dire que des services à la demande s’établissent dans des États membres où les obligations financières sont faibles, voire inexistantes). Cet état de fait peut, à son tour, créer des distorsions de concurrence. Les contributions financières ne pourront être fondées que sur les recettes générées dans le pays imposant la contribution. Le fait de préciser que les États membres peuvent imposer des contributions financières est considéré comme une façon justifiée et équilibrée de limiter les pratiques de «forum shopping» sans compromettre le principe du pays d’origine.

 Afin de garantir que les obligations en matière de promotion des œuvres européennes ne compromettent pas le développement des marchés et pour permettre l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, les entreprises sans présence significative sur le marché ne devraient pas être soumises à ces exigences. C’est notamment le cas pour les sociétés ayant un chiffre d’affaires peu élevé et de faibles audiences. Il pourrait également être inapproprié d’imposer de telles exigences dans les cas où elles seraient impossibles à respecter ou injustifiées en raison de la nature ou du thème des services de médias audiovisuels à la demande.

 La promotion des œuvres européennes contribue à établir un marché unique. Compte tenu de l’importance du principe du pays d’origine pour la création d’un marché intérieur la réforme de la directive prévoit une simplification de l’application de ce principe. Le principe du pays d’origine a pour objectif de protéger les fournisseurs de services de médias, établis dans un État membre, d’éventuelles restrictions imposées par d’autres États membres de l’UE, destinataires de leurs services. Les fournisseurs de services audiovisuels doivent se conformer non pas à 28 réglementations différentes, mais uniquement à celle du pays dans lequel ils sont établis.Le projet de réforme de la directive propose de confirmer le principe du pays d’origine et d’en faciliter l’application de trois façons :

           -il sera plus aisé de déterminer le pays dont relève juridiquement chaque fournisseur, grâce à une base de données dans laquelle sera enregistrée une liste actualisée des fournisseurs ressortissant à la compétence d’un État membre

            -l’ensemble des États membres et des autorités de régulation pourront accéder à ces informations

            -les mécanismes prévus dans les cas dérogatoires au principe du pays d’origine seront améliorés.

 II/ Attitude responsable des plateformes de partage de vidéos:

             Dans le but de permettre aux spectateurs, notamment les parents et les mineurs, de prendre des décisions en connaissance de cause concernant les contenus à regarder, il est nécessaire que les fournisseurs de services de médias audiovisuels fournissent des informations suffisantes sur les contenus susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs.

 Comme vu précédemment les habitudes de consommations audiovisuelles des européens changent. Les acteurs principaux de ce changement sont les enfants. En effet les enfants délaissent de plus en plus la télévision au profit des vidéos à la demande et en ligne. Or l’actuelle directive SMA les protège davantage lorsqu’ils regardent la télévision que dans l’environnement en ligne. Le projet de réforme de la directive SMA prévoit de corriger cette incohérence par trois règles :

             -l’article 12 exige que les programmes susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ne soient accessibles que d’une manière permettant de faire en sorte que les mineurs ne puissent normalement pas entendre ni voir ces programmes. Cette exigence est étendue aux organismes de radiodiffusion télévisuelle et aux services à la demande. Ainsi l’actuel article 27 de la directive SMA est supprimé car il ne concerne que la radiodiffusion télévisuelle. Les plateformes de partage de vidéos, pour lesquelles la Commission entend soutenir une démarche de corégulation, sont soumises à des règles différentes : la Commission invitera toutes les plateformes de partage de vidéos à élaborer un code déontologique pour l’industrie, tandis que les autorités nationales de régulation de l’audiovisuel auront compétence pour faire respecter les règles

             -exigent que les contenus les plus préjudiciables, tels que la violence gratuite et la pornographie, fassent l’objet des mesures les plus strictes assurant un degré élevé de contrôle (telles que la vérification de l’âge ou l’utilisation de codes PIN)

             -encouragent la corégulation (moyen par lequel un acte législatif communautaire confère la réalisation des objectifs définis par l’autorité législative aux parties concernées reconnues dans le domaine)  au niveau de l’UE sur les descripteurs de contenu (pictogrammes avertissant de l’emploi d’un langage grossier, de scènes de sexe, de violence, de la consommation de stupéfiants ou de comportements discriminatoires) qui informent suffisamment les spectateurs quant à l’éventuelle nature préjudiciable du contenu. La Commission souhaite que le secteur élabore des descripteurs de contenu communs parce que les classifications par tranche d’âge sans autres explications à cet égard ne sont pas toujours une source d’information suffisante pour les parents. Cela permettra à ces derniers de décider pour leurs enfants ou aux enfants de décider par eux-mêmes.

             La future directive renforcera les dispositions visant à protéger les mineurs des communications commerciales audiovisuelles inappropriées portant sur des aliments riches en graisses, en sel/sodium et en sucres et sur des boissons alcooliques, si besoin est en encourageant l’établissement de codes déontologiques au niveau de l’UE. Article 9 du projet de réforme.

 III/ Plus grande souplesse en faveur des communications commerciales

 A la faveur d’une grande consultation publique intitulée « Directive SMA – un cadre pour les médias au 21ème siècle » qui s’est déroulée du 6 juillet 2015 au 30 septembre 2015, la Commission a conclu à une absence de « consensus clair parmi les parties prenantes sur les communications commerciales », et « un appel a été lancé par une bonne partie des représentants du secteur de la radiodiffusion pour garantir des conditions égales pour tous, que ce soit par une régulation des nouveaux services et/ou un assouplissement des règles existantes ». En effet,  la directive SMA pose comme principe, dans son considérant 79 que « La disponibilité de services de médias audiovisuels à la demande élargit le choix du consommateur. Il ne semble dès lors ni justifié ni opportun du point de vue technique d’imposer des règles détaillées régissant les communications commerciales audiovisuelles pour les services de médias audiovisuels à la demande ». Or, les considérants 86 et 87 prévoient  un encadrement des conditions pour l’insertion de communications commerciales  dans le cadre de la radiodiffusion, avec  une incitation à limiter le nombre d’interruptions autorisées « pendant la diffusion des œuvres cinématographiques et de films conçus pour la télévision » afin de « sauvegarder le caractère spécifique de la télévision européenne », et « une limitation de 20% de spots de publicité télévisée et de téléachat par heure d’horloge, s’appliquant aussi aux heures de grande écoute ». Par ailleurs, le considérant 84 permet aux Etats membres de durcir ou d’alléger les restrictions prévues par la directive, principe observable en France sur les chaînes « du service public ». Ces restrictions se traduisent au seul article de la directive SMA traitant de cet aspect, l’article 23 : « Les pourcentage de temps de diffusion de spots de publicité et de spots de téléachat à l’intérieur d’une heure d’horloge donnée ne dépasse pas 20% ».

 La proposition de modification de la directive propose un assouplissement des règles concernant les communications commerciales au regard de plusieurs éléments :

  • « L’augmentation probable des recettes des fournisseurs de médias audiovisuels résultant d’une souplesse accrue des règles quantitatives en matière de publicité générera des ressources potentiellement disponibles pour une contribution accrue à la production d’œuvres européennes ». Un assouplissement en faveur des communications commerciales s’entend d’autant mieux qu’il y aura une contrepartie favorable au dynamisme économique du marché unique.
  • « L’émergence de nouveaux services, y compris de services dépourvus de publicité a élargi le choix offert aux spectateurs, qui peuvent facilement se tourner vers d’autres offres ». Les destinataires des offres peuvent ne plus être captifs en se détournant des offres des services de médias audiovisuels linéaires.
  • En outre, en assouplissant les règles en vigueur, cela diminuerait automatiquement le travail de contrôle des autorités de régulation et « les dépenses courantes des régulateurs baisseront certainement ».
  • Enfin, la protection des mineurs reste centrale concernant les services de médias audiovisuels, des limites sont donc posées pour les communications commerciales et autres techniques commerciales dans le cadre de programmes à destination des enfants. Et dans un souci d’égalité de traitement, « en ce qui concerne la protection des mineurs, la directive révisée prévoit l’alignement des normes applicables à la radiodiffusion télévisuelle et aux services à la demande. »

 Cette balance entre souplesse accrue et contrôle permanent se traduit tout au long de la directive révisée. Ainsi, dans l’exposé des considérants :

  • dès le considérant 10, il est annoncé que « les Etats membres devraient être encouragés à assurer l’utilisation de codes déontologiques en matière d’autorégulation et de corégulation pour réduire efficacement l’exposition des enfants et des mineurs aux communications commerciales audiovisuelles relatives à des denrées alimentaires ou des boissons qui présentent une forte teneur en sel, en sucres ou en matière grasses ».
  • au considérant 14 est introduite la notion de parrainage, et au considérant 15 celle de placement de produit. Le parrainage consiste à proposer à une entreprise de financer un programme, et d’être citée publiquement lors de la diffusion de ce programme comme participant à son financement. Le placement de produit consiste à insérer des produits de la marque qui aide au financement du programme dans le programme lui-même, généralement des séries ou des longs métrages.  Ces nouveaux types de recettes publicitaires sont validés avec comme garde fous le fait de na pas influencer sur l’indépendance éditoriale des services de médias audiovisuels, de ne pas être admissibles « dans les programmes d’information et d’actualité, les émissions de consommateurs, les programmes religieux et les programmes regardés par un large public d’enfants » (pour les placements de produits). Le placement de produit est également prohibé dans les émissions de consommateurs pour ne pas créer de confusion entre publicité et contenu éditorial.
  • la directive révisée revient sur la seule contrainte claire énoncée dans la directive SMA concernant le temps de diffusion des communications commerciales au considérant 19 en posant qu’ « il est important pour les organismes de radiodiffusion télévisuelle de disposer d’une flexibilité accrue et d’être en mesure de choisir à quel moment placer les publicités afin d’optimiser la demande des annonceurs et le flux des spectateurs. Il conviendrait donc de supprimer la limite horaire et d’introduire une limitation quotidienne de 20% de publicité au cours de la période comprise entre 7h et 23h. »
  • le considérant 20 avance l’argument selon lequel « le temps de transmission attribué aux messages diffusés par l’organisme de radiodiffusion télévisuelle en ce qui concerne les programmes d’autres entités appartenant à un même groupe de médias ne devrait pas être inclus dans la durée maximale du temps de transmission quotidien qui peut être attribué à la publicité et au téléachat ». La directive revisitée pose donc que l’on ne peut considérer comme une publicité que les annonces générant des revenus pour les groupes de diffusion, et non les promotions d’autres programmes, qui sont supportées par les groupes eux-mêmes.

 Les principes énoncés par les considérants se retrouvent dans le corps de la directive revisitée :

  • L’article 9§2 propose « l’élaboration de codes déontologiques en matière d’autorégulation et de corégulation » pour les communications commerciales audiovisuelles accompagnant les programmes à destination des enfants et relatives à des denrées alimentaires. Les paragraphes suivants du même article proposent également l’élaboration de codes déontologiques pour les communications commerciales concernant les boissons alcooliques.
  • L’article 11 traite du placement de produits, en donnant la liste des émissions dans lesquelles cette pratique est prohibée, en précisant dans le point 3 quelles sont les exigences auxquelles elle doit satisfaire (ne pas influencer l’indépendance et la responsabilité éditoriale du fournisseur de services de médias, ne pas inciter directement à l’achat ou à la location de biens ou de services, informer clairement les téléspectateurs de l’existence d’un placement de produits), et dans le point 4 les produits interdits à tout placement (produits du tabac, médicaments)
  • L’article 23 dispose que « la proportion quotidienne de spots de publicité télévisée et de spots de téléachat au cours de la période entre 7h et 23h ne dépasse pas 20% »

La directive revisitée s’inscrit pleinement dans la stratégie pour le marché unique numérique qui vise un bénéfice de 415 milliards d’euros générés par la croissance de ce marché. Les PME, généralement les plus créatrices d’emploi sont ainsi favorisées. Et la Commission ne souhaite pas pénaliser les entreprises du secteur en faussant la concurrence par des règles trop rigides en matière de revenus issus des communications commerciales. L’objectif de croissance est encadré par le respect de règles d’ordre public : contrôle plus étroit de tous les acteurs concernant les incitations à la haine, prohibition des publicités pour les produits du tabac, règles particulières pour les programmes à destination des mineurs, encadrement du temps de publicité réaménagé mais toujours présent, indépendance des médias consacrée, et rappel du rôle fondamental des médias pour leur contribution à l’éducation des citoyens (culturelle, politique…). Toutefois, on peut s’interroger sur le caractère démocratique de cette retouche. En effet, lors de la collecte de données sur les coûts et avantages de la directive SMA, l’étude du questionnaire proposé à cette occasion a suscité des réponses provenant quasi exclusivement de professionnels du secteur (38% de taux de participation des radiodiffuseurs commerciaux, taux de participation le plus conséquent) tandis que les représentants de consommateurs étaient sous-représentés (moins de 4% d’associations de consommateurs). Par ailleurs, nulle part n’apparaît la notion de citoyen dans cette consultation, ces derniers étant représentés par « des association nationales actives dans le domaine de la protection des mineurs », avec une représentation à hauteur de 10%.

IV/ Rôle renforcé des autorités de régulation

Les organismes de régulation ont le difficile rôle de faire cohabiter des intérêts antinomiques sur un même support : contrôler la séparation entre la communication officielle des pouvoirs en place et la liberté d’expression d’organes publics ou privés via les divers canaux de communication (presse écrite, radio, audiovisuel, internet…), le respect de codes déontologiques par les diffuseurs, permettre la diversité d’opinions et le pluralisme des médias.

Des autorités de régulation ont ainsi été créées dans toute l’Europe, avec des pouvoirs plus ou moins étendus, et des disparités entre Etats liées notamment aux formes des régimes mis en place. Il y a ainsi plusieurs autorités en Espagne et en Allemagne, mais une autorité centrale avec des missions différentes entre ces deux Etats : une mission plus économique en Espagne avec une compétence générale forte de quelques communautés autonomes (Catalogne, Andalousie, Navarre),  une mission plus fédéraliste en Allemagne avec une association nationale des 15 autorités de régulation des Länders.

La directive SMA pose certaines garanties quant à l’existence des autorités de contrôle. La notion d’autorité de contrôle nationale ou communautaire, ou la notion de contrôle des SMA sont ainsi énoncées 7 fois dans les considérants (considérants 19, 39, 44, 62, 94, 95 et 100), et  seulement 3 fois dans les articles : articles 5, 29 et 30.

Alors que les considérants posent les principes fondateurs des missions et pouvoirs des autorités de contrôle  (promotion de l’autorégulation et de la corégulation, interdiction d’un contrôle préalable des SMA par les organismes publics, demande de coopération entre les autorités de contrôle, les Etats membres et la Commission européenne) les articles énoncent peu de règles impératives :

  • les fournisseurs de SMA doivent offrir l’accès aux informations concernant les organismes de régulation aux utilisateurs des services (article 5),
  • il est préconisé l’institution d’un comité de contact auprès de la Commission (article 29)
  • une communication entre les Etats et la Commission pour l’application de la directive via les organismes de régulation est proposée (article 30)

Par ailleurs, l’instauration par la directive SMA de règles, comme celle du pays d’origine pour déterminer quel droit national s’applique pour un service de médias audiovisuels diffusant dans un Etat membre, semble poser problème à certaines autorités de régulation nationales confrontées à un phénomène de « shopping régulatoire ». Le problème de concurrence déloyale entre diffuseurs est surtout prégnant dans des pays regroupant plusieurs régions indépendantes comme la Belgique[3]. En outre, sans préjuger de la mauvaise fois des fournisseurs de services (la règle prévue étant d’une complexité importante), plusieurs autorités de régulation ont rencontré des difficultés dans l’application du critère du pays d’origine quand ce dernier devait s’interpréter à l’aulne de dispositions techniques comme celles énoncées à l’article  2.4 de la directive SMA : la détermination du pays d’origine dans le cas de diffusions par satellite.[4]

La volonté d’unifier les manières de réguler a conduit la commission a créer l’ERGA le 3 février 2014 (the European Regulators Group for Audiovisual Media Services) avec pour missions d’assister la commission européenne dans ses travaux relatifs à la directive SMA et dans tous les travaux relatifs aux services de médias audiovisuels, de faciliter la coopération entre les organes de régulation dans l’Union européenne comme posé dans la directive SMA et de permettre les échanges autour des bonnes pratiques.[5] La qualité de ses contributions et de ses conseils auprès de la commission ont conduit la commission et le Parlement européen à reconnaître formellement ce groupe dans l’article 30 bis de la proposition de réforme de la directive.

Le renforcement des autorités de contrôle se ressent tout au long du projet de réforme avec, au contraire de la directive SMA peu de développements dans les considérants mais plus d’articles dédiés aux autorités de contrôle et à leur fonctionnement. Si plusieurs considérants traitent de la mise en place d’autorités de régulation, un peut attirer notre attention plus particulièrement. En effet, le considérant 33 dispose que les Etats membres doivent garantir l’indépendance de leurs autorités de régulation nationale, « sans préjudice de la possibilité […] d’établir des autorités de régulation ayant un contrôle sur différentes secteurs, comme l’audiovisuel et les télécommunications ». Cette disposition revêt un caractère particulier pour la France où des projets de rapprochement des autorités de contrôle de l’audiovisuel (le CSA) et des télécommunications (l’ARCEP) sont évoquées régulièrement.[6] Le considérant 33 incite également les Etats membres à doter leurs autorités de régulation de pouvoirs coercitifs et de ressources nécessaires à l’exécution de leur mission et décrit l’ensemble des objectifs poursuivis par les autorités de régulation : veiller au pluralisme des médias, à la diversité culturelle, à la protection des consommateurs et à la défense d’une concurrence déloyale. L’ambivalence des objectifs poursuivis et des intérêts en cause impose donc une totale indépendance des autorités de régulation vis-à-vis des Etats et des acteurs économiques, avec un réel pouvoir de contrôle et de sanction.

Le renforcement du rôle des autorités de régulation se constate surtout à la lecture des articles modifiés ou insérés :

  • dès l’article 2-5bis, les autorités de régulation sont placées au cœur du processus de dialogue entre les Etats et la commission avec l’obligation faite aux Etats de communiquer « une liste des fournisseurs de services de médias audiovisuels relevant de leur compétence et les critères définis aux paragraphes 2 à 5 sur lesquels leur compétence est fondée » à la Commission, cette dernière s’assurant que les « autorités de régulation indépendantes aient accès à ces informations ».
  • afin d’assoir le pouvoir effectif des autorités de régulation, l’article 4§7 incite les Etats à garantir la mise en œuvre de sanctions efficaces des codes déontologiques établis par les procédures de corégulation et d’autorégulation. Les procédures de création réglementaire comme les pouvoirs de sanctions sont consolidés.
  • afin d’aboutir à un marché unique sécurisé, le projet de réforme propose un article 6bis-3 dans lequel les autorités de régulation sont incitées à échanger les « bonnes pratiques », principe repris à l’article 9§2 pour les bonnes pratiques relatives à l’élaboration de codes déontologiques « concernant les communications commerciales audiovisuelles accompagnant les programmes regardés par un large public d’enfants ». L’ERGA trouve d’ailleurs toute sa place dans ces incitations.
  • l’élargissement et le renforcement du rôle des autorités de régulation est particulièrement visible à l’article 28 bis – 4 qui dispose «Les Etats membres mettent en place les mécanismes nécessaires pour apprécier le caractère approprié des mesures visées aux paragraphes 2 et 3 qui sont prises par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos. Les Etats membres confient cette tâche aux autorités désignées conformément à l’article 30 ». Ainsi, la proposition de réforme propose non seulement un élargissement des pouvoirs, mais également du domaine d’application du contrôle effectué par les autorités de régulation nationales, en incluant les plateformes de partage de vidéos dans les médias visés.
  • enfin, l’article 30 précise les conditions de fonctionnement exigées pour la création d’autorités de régulation nationale sur 7 points. Cet article rompt le principe de liberté posé dans le considérant 94 de la directive SMA selon lequel les Etats membres sont libres de choisir « la forme de leurs organismes de régulation nationaux indépendants ». En outre, l’article 30 bis institue solennellement l’ERGA en précisant les tâches qui lui sont attribuées.

Quelques interrogations sur ce projet de réforme

             Malgré la volonté de l’UE de promouvoir la culture audiovisuelle européenne on peut se poser des questions sur les mesures prises.

           En effet on peut s’interroger sur la valeur de ce quota de 20%, d’œuvres européennes, au regard notamment des règles déjà en vigueur dans certains Etats membres. Par exemple la France impose un quota bien plus élevé, en effet en France ce quota n’est pas de 20%, comme le prévoit le projet de réforme de la directive, mais de 60% ! Qui plus est cette règle des 20% n’est pas réellement une révolution pour les géants de la VOD, en effet aujourd’hui, l’acteur principal du marché à savoir la plateforme de vidéo à la demande Netflix est déjà sur la base de ces 20%…

             En outre le projet de réforme prévoit une contribution financière qui peut, donc  pas une obligation, être demandée aux services de vidéo à la demande pour contribuer à la production d’œuvres européennes. Une fois de plus la France semble bien plus directe et précise sur cette contribution financière en effet au niveau nationale « Les services par abonnement sont soumis à des obligations de contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes, d’une part, et d’expression originale française, d’autre part, de :

  • 26 % et 22 % lorsqu’ils proposent annuellement au moins dix œuvres cinématographiques de longue durée dans un délai inférieur à vingt-deux mois après leur sortie en salles en France ;
  • 21 % et 17 % lorsqu’ils proposent annuellement au moins dix œuvres cinématographiques de longue durée dans un délai inférieur à trente-six mois et égal ou supérieur à vingt-deux mois après leur sortie en salles en France ;
  • 15 % et 12 % dans les autres cas.

La contribution est investie dans la production d’œuvres cinématographiques et dans la production d’œuvres audiovisuelles (sauf pornographiques ou incitant à la violence), en proportion des parts représentées par chacun de ces deux genres d’œuvres dans le téléchargement ou le visionnage total des œuvres par les utilisateurs du service au cours de l’exercice précédent. »

Par ailleurs, selon les propres mots de la directive, « les services de radiodiffusion classique continuent d’occuper une place importante en termes d’audience, de recettes publicitaires et d’investissement dans le contenu (environ 30% des recettes) ». Il parait donc prématuré de considérer que les téléspectateurs dans leur ensemble peuvent se tourner vers des offres sans publicité, ou à la demande. L’existence d’une fracture numérique réelle tant en termes de compétences que d’équipement nous pousse à penser qu’il y aura 2 catégories de public pour les services de médias audiovisuels à l’issue de cette réforme. Ceux qui sont aptes à maîtriser les contenus qu’ils visionnent, et ceux qui seront toujours captifs de services de radiodiffusion linéaires. Un vrai problème démocratique risque donc de se poser.

 [1] http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0231:FIN:FR:PDF

[2] http://www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Audiovisuel/Archives-2013/Contribution-francaise-au-livre-vert-de-la-Commission-europeenne-intitule-Se-preparer-a-un-monde-audiovisuel-totalement-convergent-croissance-creation-et-valeurs

[3] http://www.csa.be/system/documents_files/2529/original/20150930_Consultation_directive%20SMA%202015.pdf?1447753553

[4] Rapport de l’ERGA sur la compétence territoriale dans un environnement convergé, 17 mai 2016

[5] https://ec.europa.eu/digital-single-market/en/audiovisual-regulators

[6] Voir annexe

[7] Félix Tréguer, Le CSA et la régulation d’Internet : une erreur ontologique in La régulation de la communication audiovisuelle, enjeux et perspectives, sous la direction scientifique de Serge Regourd et Laurence Calandri, Institut Universitaire Varenne, 2015, sl

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Pascale Idoux, Le rapprochement du CSA et de l’ARCEP, in La régulation de la communication audiovisuelle, Enjeux et perspectives, sous la direction scientifique de Serge Regourd et Laurence Calandri, Institut universitaire Varenne, Collection Colloques et essais, 2015

[12] Ibid.